ANTHROPISATION

ANTHROPISATION
ANTHROPISATION

Étymologiquement, l’anthropisation est l’effet de l’action humaine sur les milieux naturels. On voit l’ambiguïté de cette définition: l’homme serait-il exclu d’un milieu qui ne serait «naturel» qu’en son absence? Or, en tant que mammifère, l’homme fait partie de la biosphère au même titre que les autres êtres vivants: omnivore, il s’insère dans les grands cycles biogéochimiques comme consommateur primaire et secondaire. Son action est toutefois très différente de celle des autres animaux. Par la puissance et l’étendue de son impact sur les écosystèmes, il a conquis la planète, transformé radicalement la végétation et la faune, changé la face des continents; l’océan pâtit de son action, et même l’atmosphère... S’il existe des animaux édificateurs de logements collectifs, des insectes cultivateurs ou éleveurs de pucerons, des mammifères traceurs de pistes ou constructeurs de barrages, aucune de ces actions n’a l’importance spatiale et surtout le caractère conscient, en principe réfléchi, des activités humaines. Constructeur lui aussi et prédateur comme nombre d’animaux, l’homme fait appel par surcroît à des sources spécifiques d’énergie; il est ainsi capable d’apporter de grandes modifications aux cycles de matière et d’énergie, qu’il peut enrichir, bloquer ou accélérer, détourner... allant parfois jusqu’à la rupture de l’équilibre des écosystèmes.

Ainsi, l’anthropisation est partout; elle n’épargne pas les paysages végétaux les plus «naturels» comme la forêt ou la prairie, et cela depuis le Néolithique, l’épanouissement des diverses civilisations ayant dépendu de la façon dont elles «mettaient en valeur» le milieu naturel. Cependant, pour donner un sens opérationnel à la notion d’anthropisation, il faut remarquer que ce concept s’est imposé à partir du moment où un bilan s’est avéré nécessaire, l’aspect négatif des actions humaines apparaissant en filigrane, puis en surimpression sur leur aspect positif, envisagé jusque-là exclusivement en toute bonne conscience civilisatrice.

Ainsi circonscrite, l’anthropisation est la conséquence des actions humaines conduisant à un appauvrissement, une dégradation, voire une destruction des écosystèmes (parfois à la création d’autres écosystèmes, plus ou moins «artificiels»), et aboutissant à des modifications étendues, immédiatement perceptibles, de la biosphère et souvent de la surface des continents. Le révélateur de l’anthropisation est le tapis végétal, de qui dépendent tous les autres participants aux écosystèmes; il permet de déceler les premiers signes de dégradation ou de déséquilibre anthropiques, d’en comprendre les mécanismes et d’en suivre l’évolution. Il sera le témoin éventuel du retour à un nouvel équilibre.

1. Le défrichement premier stade de l’anthropisation

Dès la plus haute antiquité, «par la hache, la dent, le feu», l’homme a voulu faire place nette à ses troupeaux et à ses cultures. Les effets planétaires de ces défrichements ont été décrits et déplorés depuis longtemps. La médiocrité des techniques agricoles anciennes, fréquemment la pauvreté des sols, obligeant à une culture itinérante, explique l’étendue des surfaces abandonnées, sur lesquelles de nouveaux paysages végétaux marquent le caractère plus ou moins irréversible de l’action anthropique: garrigues et maquis méditerranéens, landes à éricacées de la façade atlantique européenne, savanes à pyrophytes de l’Afrique tropicale... De telles formations anthropiques apparaissent aussi sous nos yeux par suite de la déprise agricole des dernières décennies. Elles se caractérisent par l’absence des flores et faunes spécifiques des milieux forestiers originels, et la prédominance dans le tapis végétal d’héliophytes sociaux occupant solidement le terrain, interdisant en conséquence, généralement, la reprise de l’évolution progressive et bloquant le retour à l’état forestier antérieur: au climax s’est substitué un paraclimax . L’appauvrissement du capital biologique est particulièrement grave dans les îles, où beaucoup d’espèces endémiques sont exterminées, ne survivant parfois que dans de précaires refuges: dès 1927, H. Humbert le montrait pour Madagascar, exemple largement généralisable.

Les sols sont bien entendu concernés: ils sont chimiquement modifiés, ou détruits. Ainsi, le défrichement de la chênaie acidophile atlantique en Europe tempérée conduit, après abandon des cultures ou du pacage, à la conquête du terrain par des éricacées, sclérophytes dont la litière acidifiante déclenche ou aggrave la podzolisation. En Afrique tropicale, le déboisement des forêts sur sols ferralitiques a provoqué l’érosion des horizons superficiels et la mise à nu des cuirasses latéritiques, stérilisant d’immenses étendues. Souvent, l’érosion affecte la totalité du sol, et même le sous-sol, quand les conditions de topographie et de climat (méditerranéen, tropical...) sont réunies. L’accumulation de colluvions en bas de versants (parfois plusieurs mètres en quelques siècles), le creusement de rigoles puis de ravins engendrant les paysages stériles de «bad-lands», suivent la déforestation. L’une des plus spectaculaires (mais non la dernière) des catastrophes déclenchées par la destruction anthropique du tapis végétal fut décrite par John Steinbeck dans Les Raisins de la colère : vers 1934, l’érosion éolienne consécutive au dry-farming emporta jusqu’à New York, par centaines de millions de tonnes, les sols pulvérulents du dust-bowl (le «bol de poussière»: Oklahoma, nord-Texas...).

Plus localement, des paysages végétaux d’origine anthropique, équilibrés car issus de l’expérience séculaire des agriculteurs, ont été l’objet de bouleversements aux effets trop souvent destructeurs: ainsi, la suppression du bocage, avec arasement des talus (notamment dans le massif Armoricain), le remplacement des olivettes en terrasses par des cultures florales ou des constructions d’immeubles, sur les pentes instables de la côte d’Azur...

Les défrichements agricoles ne sont pas uniquement à l’origine de phénomènes anthropiques. La forêt ardennaise est encore aujourd’hui profondément marquée par la surexploitation pratiquée aux siècles passés en vue d’alimenter les forges en charbon de bois; d’autres forêts ont été ravagées par les verreries, pour la cuisson des poteries ou même l’exploitation des salines (forêt de Chaux: Plaisance); la pollution de l’air par les rejets fluorés des usines d’aluminium, en Maurienne notamment, a conduit à la destruction de près de 3 000 hectares de forêts (Bossary, 1970), sans oublier les effets toxiques sur les animaux et l’homme (Ramade). En montagne également, des glissements de terrain aux conséquences financières et humaines considérables résultent de l’urbanisation mal contrôlée, de l’établissement de routes ou de pistes de ski en terrain fragile... Les éboulements catastrophiques qui ont, en 1981, perturbé toute la région de Bourg-Saint-Maurice en sont l’un des exemples.

2. L’introduction d’êtres vivants, facteur de déséquilibre

Après défrichement, la culture a un certain effet protecteur. Par exemple, d’après Fournier, en milieu tropical humide, si l’évacuation des éléments terrigènes passe de 5 tonnes par hectare et par an sous forêt dense à 10 000 t/ha/an après coupe à blanc, elle retombe à 4 000 t la première année de culture, à 20 t la seconde année si la couverture végétale est assez dense. On doit souligner cependant que le maïs, le coton ou encore le café et même la vigne ont un faible pouvoir protecteur des sols; leur culture, largement répandue, accentue les phénomènes d’érosion (action aggravée par la mécanisation agricole).

Bien que modifiant très profondément les paysages, les cultures, milieux de forte productivité, donc à «bilan positif», sont à la limite de notre propos. Il s’agit pourtant d’écosystèmes artificiels (champs, prairies et plantations forestières monospécifiques, comme les peupleraies et les enrésinements), dont le rendement est justement fonction, pour partie, de leur caractère monospécifique, d’où la chasse aux «mauvaises herbes», et qui se sont toujours substitués à des écosystèmes beaucoup plus riches et plus complexes. L’appauvrissement biologique des régions de grande culture est bien une «anthropisation», à laquelle s’ajoutent les effets de bordure sur les biotopes «naturels» voisins: débordement des engrais et pesticides (sans préjudice de la pénétration de ces substances dans les nappes aquifères), stérilisation des cours d’eau à la suite des diverses pollutions ou, dans le cas des pessières, par la chute de la luminosité et la diffusion de substances toxiques issues de la litière résineuse. Toutes ces actions ont un effet commun: la disparition de nombreuses espèces animales et végétales, entraînant une diminution grave de la diversité génétique, d’une part directement (actions destructrices ou toxiques), d’autre part indirectement (par la destruction de certaines mailles des réseaux trophiques).

Introduites par l’homme, certaines plantes, cultivées ou non, ont littéralement envahi de nouveaux territoires, se comportant comme des adventices hautement agressives. Un pied d’Opuntia (cactus-raquette), importé en Australie en 1839, avait donné, en 1920, un peuplement de 24 millions d’hectares, progressant de 4 millions d’hectares par an; l’introduction d’un consommateur spécifique (la chenille du papillon Cactoblastis cactorum ) fit disparaître ce fléau: exemple de l’un des premiers succès de la lutte biologique.

Non moins spectaculaire est l’invasion des fleuves paléotropicaux par la jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes ); mais le bilan est ici mitigé, malgré une perturbation évidente des écosystèmes: d’après Brunetti et al. (1981), cette plante pourrait être un précieux épurateur des eaux polluées, un producteur de méthane (et, en outre, une source de protéines)...

Les herbivores élevés ou introduits par l’homme ont contribué de façon majeure à la destruction du tapis végétal et à l’érosion. Le surpâturage (ovins, caprins) a été l’une des causes de la ruine des forêts méditerranéennes, de l’extension des landes de l’Écosse au Portugal, de celle du chaparral en Californie, ou du veld buissonnant en Afrique du Sud. Le lapin a des effets équivalents, et peut devenir un véritable fléau en l’absence de carnivores: introduit en 1859 en Australie, il constituait à la fin du siècle un problème majeur, détruisant la végétation et les sols; il a de même ravagé le sud de la Nouvelle-Zélande, et presque anéanti la végétation endémique des Kerguelen. En Europe, où il fut propagé avant notre ère par les Romains, son caractère destructeur ne fut reconnu qu’a contrario, lorsque le contrôle de ses populations par la myxomatose fit réapparaître la forêt là où les tentatives de reboisement avaient jusqu’alors échoué.

3. Les perturbations des cycles

Le cycle de l’eau , dès les débuts de l’agriculture, a été contrôlé par l’homme: cultures en terrasses diminuant le ruissellement, canaux d’irrigation, etc., ont radicalement transformé le paysage méditerranéen ou asiatique, tandis que le drainage de zones humides autorisait également l’extension de l’agriculture. L’aménagement des cours d’eau par des barrages, pour la pisciculture ou la force motrice, est également une pratique ancienne.

Là encore, le tout est de ne pas aller trop loin et d’établir des bilans. L’assèchement de marais, notamment de tourbières, peut aboutir à la stérilisation totale de ces milieux, initialement d’une grande richesse biologique. La construction de barrages de plus en plus gigantesques provoque le bouleversement des écosystèmes de régions très étendues. Ainsi, l’assèchement du bassin de la Caspienne a été aggravé par l’aménagement hydraulique de la Volga. Arrêtant le limon et les ions biogènes apportés par le Nil, le haut barrage d’Assouan a provoqué une chute de fertilité des terres, privées d’éléments nutritifs et envahies par les sels, fait progresser la bilharziose en Basse-Égypte et entraîné la ruine des pêcheurs de sardines du delta, le tonnage des captures passant de 18 000 t en 1965 à 500 t en 1968 (Dorst).

Les cycles des ions trophiques (nitrates, phosphates, sulfates, potassium, calcium, oligo-éléments...) ont d’abord été enrichis en vue d’une meilleure productivité (engrais, amendements...); heureuse au départ, la révolution due aux engrais chimiques a actuellement des effets nocifs qui tendent à se généraliser. Si la pollution des nappes par les nitrates (phénomène grave par ailleurs) n’a encore que peu d’effets sur les biocénoses, il n’en est pas de même pour celle des lacs; portant sur les phosphates autant que sur les nitrates, d’origine agricole mais surtout urbaine, cette pollution accélère le phénomène d’eutrophisation, ou mieux «dystrophisation» (Mac Intyre et Holmes), qui tend littéralement à stériliser d’énormes masses aquatiques comme les lacs de Nantua, Léman ou Érié. Autre bassin presque fermé, la mer Baltique elle-même n’échappe pas à ce processus très difficilement réversible (Ramade).

Le cycle du CO 2 est lui-même bouleversé par de multiples actions humaines, notamment les grands défrichements (qui diminuent la photosynthèse et provoquent la destruction rapide de masses énormes d’humus), l’utilisation exponentielle des combustibles fossiles, la pollution marine par les hydrocarbures (qui couvrent les eaux d’un film hydrofuge réduisant les échanges gazeux entre l’atmosphère et la mer). Tous ces phénomènes conduisent à une augmentation du C2 atmosphérique. Cette augmentation, d’environ 10 p. 100 par rapport à 1900, pourrait atteindre 30 p. 100 ou plus à la fin du siècle (Bolin). L’augmentation des concentrations de gaz carbonique dans l’atmosphère entraînant une élévation des températures par effet de serre, l’équilibre des écosystèmes se trouverait ainsi menacé; on imagine aussi les conséquences catastrophiques d’une élévation générale du niveau marin, par suite de la fusion des glaciers consécutive à ce réchauffement.

4. Écotoxicité: pesticides, herbicides, fongicides, insecticides...

Si les effets, particulièrement graves, de ces substances sur la faune sont bien connus, seuls les herbicides semblent avoir un effet important sur l’équilibre des phytocénoses. En Europe, l’action la plus spectaculaire et la plus appauvrissante sur le plan floristique est la quasi-disparition des adventices de cultures dans les céréales (de nombreuses espèces: Nielle, Nigelle, Adonis..., et même le Bleuet, sont devenues de grandes raretés); l’utilisation de débroussaillants dans les prairies et les forêts conduit à des résultats analogues tel l’appauvrissement floristique des groupements végétaux qui ne peut manquer de réagir sur la faune. Au Vietnam, l’usage des herbicides à des fins militaires a perturbé de façon catastrophique l’ensemble du couvert végétal: les sols contaminés au pichloram sont incapables de porter la moindre végétation, et cela durant des années; les mangroves du delta du Mékong ont été entièrement détruites, tandis que des étendues importantes de forêts de montagnes sont remplacées par de stériles peuplements de bambous.

5. Le tapis végétal, révélateur de l’anthropisation

La structure même du tapis végétal permet de déceler les actions anthropiques: la forme des arbres forestiers et la démographie de leur peuplement, les vides dans la végétation laissant à nu le sol voire le sous-sol sont des signes interprétables de stabilité ou d’instabilité des phytocénoses. Certains végétaux, et même certains groupements, permettent en outre de déceler des actions anthropiques particulières, parfois de façon précoce quand l’anthropisation est encore réversible. Nous citerons ici, à titre d’exemples aisément observables, des taxons et syntaxons européens; mais ce qui suit est transposable dans le monde entier.

En Europe occidentale tempérée, la dégradation de la végétation forestière se manifeste par un appauvrissement de la flore, notamment du tapis herbacé, qui prend des formes diverses selon les actions anthropiques. Le piétinement intense fait disparaître toute végétation basse dans nombre de forêts périurbaines; les incendies déclenchent l’extension de graminées sociales, notamment, selon les sols, la molinie ou le brachypode penné, en une épaisse couverture empêchant la régénération forestière, et propice au retour du feu. Ces graminées sont également abondantes en cas de pacage excessif (et naguère sous l’influence du lapin), avec dans le bassin méditerranéen Brachypodium ramosum . En montagne non calcaire, le «poil-de-bouc» (Nardus stricta ) est, par sa dominance, le signe du surpâturage. Au sein des formations herbacées, l’apparition d’espèces monocarpiques, puis leur extension, correspond à l’ultime stade de dégradation, précédant la dénudation du sol et son érosion. Le rejet de déchets, qui est l’une des manifestations les plus constantes de l’activité humaine, se traduit notamment par l’enrichissement du sol en azote ammoniacal ou nitrique, enrichissement marqué par l’apparition de nitrophytes . L’apparition de ces plantes dans un groupement végétal «naturel» (forêt, pelouse, tourbière...) est le signe d’une dégradation du milieu d’origine humaine. Les principales espèces significatives sont, pour les plantes herbacées: les bardanes (g. Arctium ), plusieurs chardons (Carduus nutans , Cirsium palustre , Onopordon acanthium selon les sols), l’ortie (Urtica dioica ), divers Rumex (R. obtusifolius , R. crispus... ), dans les lieux humides la consoude (Symphytum officinale ) et l’eupatoire (Eupatorium cannabinum ). Ces plantes (avec beaucoup d’autres: lamier blanc, ombellifères comme la ciguë) constituent des groupements anthropiques, initialement héliophiles, quand ils succèdent à des cultures («friches rudérales») puis boisés (forêt anthropique). Cette dernière est marquée par la persistance de plusieurs des nitrophytes précédents (ortie...) accompagnés de la chélidoine (Chelidonium majus ), du gratteron (Galium aparine ), de lianes: houblon (Humulus lupulus ), grand liseron (Calystegia sepium ), douce-amère (Solanum dulcamara ), clématite (Clematis vitalba ), bryone (Bryonia dioica ), d’arbustes comme le sureau noir (Sambucus nigra ), enfin d’arbres spontanés ou plus ou moins anciennement introduits: les ormes, les érables (notamment Acer pseudoplatanus ), le faux-acacia (Robinia pseudacacia )... Cette forêt, souvent la seule formation boisée des zones périurbaines ou des lieux pollués, est qualifiée d’ormaie rudérale (Jovet), mais il faudra peut-être changer ce nom puisque l’orme est menacé de disparition (et justement surtout dans ce type de forêts) par suite des attaques de la graphiose («maladie hollandaise de l’orme»).

Si l’ormaie succède à la dégradation de groupements spontanés, elle s’observe également de façon constante à la suite de l’abandon de cultures sur sols fortement pourvus d’engrais (jardins, cultures sarclées). Le tableau schématise une telle série anthropique ; soulignons que l’arrêt total de l’action humaine polluante, éventuellement aidée par un traitement forestier adéquat, peut autoriser la reconstitution, très lente, de la forêt «naturelle».

De tels groupements nitrophiles se retrouvent en montagne, où les «reposoirs» des troupeaux voient la végétation prairiale spontanée détruite et remplacée par de vastes peuplements d’orties, de chénopodes (Chenopodium bonus-henricus ), de rumex (dont Rumex alpinus ). Dans la toundra arctique elle-même, nous avons constaté (au Nouveau-Québec) des signes de l’extension de la pollution, autour des villages eskimos, marqués par la présence de bryophytes absents des peuplements naturels (Bryum argenteum , Marchantia polymorpha ) ou de spermaphytes primitivement liés aux reposoirs à oiseaux (Chrysosplenium tetrandrum , Senecio congestus ...).

D’autres groupements anthropiques, notamment mais non exclusivement ceux des stades initiaux, sont reconnaissables par la présence, souvent l’abondance, d’espèces adventices d’origine plus ou moins lointaine, américaines (Erigeron canadense , Robinia pseudacacia , les Œnothera , les Galinsoga ...), ou orientales: Polygonum cuspidatum , divers Sisymbrium et Senecio ... Nombre de ces espèces sont douées d’une forte agressivité, et peuvent envahir, voire détruire, certaines phytocénoses: on retrouve le problème évoqué précédemment.

6. Indicateurs floristiques

Dans les régions tempérées froides, la pollution thermique par les usines et les centrales électriques est marquée par l’apparition, ou l’extension, de peuplements de Vallisneria spiralis , accompagnée de divers Bryophytes et algues thermophiles. Ces végétaux régressent fortement ou disparaissent, au contraire, en cas de pollution chimique, et notamment organique, au profit des diatomées, puis des cyanophycées, des algues flagellées vertes, enfin des micro-organismes hétérotrophes, protozoaires et bactéries. Ces organismes planctoniques réapparaissent dans l’ordre inverse, des bactéries aux algues fixées et aux bryophytes, en cas de diminution des pollutions en milieu renouvelé (Angeli...).

La teneur en S2 de l’atmosphère est fortement augmentée autour des villes et centres industriels; de nombreux végétaux supérieurs sont sensibles à ce type de pollution. Certaines forêts de la région de Rouen sont très menacées par les rejets de fumées des raffineries de pétrole de la basse Seine (fig. 1), les arbres les plus sensibles étant les châtaigniers, les bouleaux, les résineux (Bossavy). Parmi les plantes herbacées, trois espèces particulièrement résistantes peuvent, par leur abondance, être considérées comme des indicateurs biologiques de la pollution par S2: Anagallis arvensis , Stellaria media et Plantago lanceolata . Cependant les lichens sont certainement les meilleurs indicateurs de cette pollution; ils ont totalement disparu du centre des grandes villes; des zones de plus en plus riches en lichens s’observent au fur et à mesure que l’on s’éloigne des secteurs les plus pollués: des Lecanora (L. Conyzaeoides ...), qui sont très résistants, apparaissent d’abord, et il faut s’éloigner souvent de plusieurs dizaines de kilomètres pour voir apparaître les espèces les plus sensibles (Parmelia saxatilis , Usnées...). Des niveaux concentriques de pollutions décroissantes (douze pour Barkman, 1958; cinq pour Skye, 1968) ont pu être cartographiés; le déplacement de ces zones permet de suivre les progrès (rarement le déclin) de la pollution de l’air.

Plus généralement, la comparaison entre les données anciennes, datées, concernant la flore, la faune et même les paysages naturels et les données correspondantes actualisées, permet de prendre conscience et même de mesurer l’anthropisation. De trop rares documents, mais particulièrement précieux, comme ceux de Massart, sur la Belgique du début du siècle, ont été utilisés dans cet esprit, par Vanhecke, Charlier et Verelst. Les clichés pris par ces derniers, soixante-dix ans plus tard, montrent de façon saisissante l’évolution anthropique, et souvent la dégradation des milieux naturels. L’utilité d’inventaires biologiques précis et complets apparaît clairement, mais cette évidence ne s’est traduite dans les faits que dans la seconde moitié du XXe siècle. Citons notamment à cet égard, après quelques tentatives de pionniers (dont Massart), l’Atlas of the British Flora (Perrig & Walters, 1962), l’Atlas de la flore belge et luxembourgeoise (1re éd., 1972), les premières cartes de l’Atlas Florae Europaeae , celles de Dupont pour la France, de l’Institut floristique franco-belge (I.F.F.B.)... De nombreux inventaires de stations remarquables par leur flore ou par leur faune, le plus souvent régionaux (ou départementaux), ont été réalisés ou sont en cours dans de nombreux pays. S’ils ne permettent pas toujours une comparaison précise avec le passé, en raison de la fréquente incertitude des données anciennes, ils constituent pour l’avenir des références indispensables.

Ainsi, l’anthropisation, transformation du visage de la terre impliquant l’idée de perturbation, de déséquilibre, voire de destruction, n’est que le signe visible, parfois inquiétant, des erreurs que l’homme a commises trop souvent dans l’exploitation des richesses de la biosphère. La recherche de ses causes, de ses mécanismes, de la prévention de ses effets, des moyens de parvenir à de nouveaux équilibres... est l’un des domaines de l’écologie appliquée.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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